En fin 1968, j'ai commencé à sortir en “boîte“ de nuit… bon, d'accord, je devais rentrer à 1 heure du matin… de toutes façon, les boîtes de nuit de ce temps-là devaient fermer à deux heures du matin! Mais, on entrait dans la “boîte“ à 22 h environ et aussitôt on allait se déhancher sur la piste de danse. Donc, on en avait pour son argent. Rien à voir avec les jeunes, blasés, d'aujourd'hui!
Quand la soirée ne s'était pas bien passée ou quand il faisait trop chaud, (l'été à Toulouse!!) on allait dans une brasserie manger la soupe à l'oignon.
C'est un plat certainement très ancien, puisque l’oignon est utilisé en cuisine depuis l’Antiquité.
Ce plat réconfortant n’a pas de date de naissance avérée, ni d’inventeur officiel. On en trouve une première trace dans une mazarinade (un pamphlet ou une chanson contre Mazarin, pendant la période de la Fronde). Celle-ci, publiée en 1649, est intitulée “La dernière soupe à l’ognon pour Mazarin“.
Deux ans plus tard, l’existence de la soupe à l’oignon est aussi attestée par “Le vrai cuisinier françois“, révolutionnaire livre de cuisine "moderne" (en vieux français), marquant la rupture avec la cuisine du Moyen Âge. C'est un ouvrage de François Pierre de La Varenne, dont la première édition date de 1651, propose un "potage d’oignon". "Les oignons, fricassés dans du beurre, sont cuits avec de l’eau et "une croûte de pain", voire des câpres. On laisse le tout "mitonner", c’est à dire mijoter, et on sert avec "un filet de vinaigre".
Bien des années plus tard, un certain Nicolas Appert, (oui, c'est l’inventeur de la conserve), ou par Alexandre Dumas dans son fameux “Grand dictionnaire de cuisine“ (1873), évoque une version de la recette au XVIIIe siècle.
Dumas raconte ainsi que l’ex-roi de Pologne, Stanislas (1677-1766) s’arrêta un jour dans une auberge à Châlons, lors d’un voyage entre Lunéville et Versailles. Là-bas, "on lui servit une soupe à l’oignon si délicate et si soignée, qu’il ne voulut pas continuer sa route sans avoir appris à en préparer une semblable. Enveloppé de sa robe de chambre, Sa Majesté descendit à la cuisine et voulut absolument que le chef opérât sous ses yeux. Ni la fumée ni l’odeur de l’oignon, qui lui arrachait de grosses larmes, ne purent le distraire de son attention. Il observa tout, en prit note, et ne remonta en voiture qu’après être certain de posséder l’art de faire une excellente soupe à l’oignon".
Cette "soupe à l’oignon à la Stanislas" ne contient ni fromage ni bouillon: des morceaux de croûte de pain sont grillés et beurrés. Les oignons sont frits dans le beurre, jusqu’à ce qu’ils soient "d’un beau blond un peu foncé", puis on ajoute les croûtes, "en remuant toujours jusqu’à ce que l’oignon brunisse". Il ne reste plus qu’à ajouter de l’eau bouillante, à assaisonner et à laisser mijoter.
En réalité, Alexandre Dumas propose bien d’autres sortes de soupes à l’oignon dans son livre de cuisine, comme le "potage de santé aux oignons", le "potage d’oignons au blanc, en maigre", le "potage à l’oignon, au lait" ou encore le "potage à l’oignon Vuillemot" (la soupe est versée dans une soupière dans laquelle on a déposé du pain beurré, du gruyère est servi à part).
Ensuite, au XIXe siècle, la soupe à l’oignon est évoquée dans divers livres, comme par exemple le “Guide manuel illustré de la cuisinière de Paris et de la Province“ (1869). Là, on recommande de préparer la soupe avec des oignons et du beurre, puis de tremper "sur des tranches de pain entremêlées de fromage".
Pareil pour “La Cuisinière assiégée, ou L’Art de vivre en temps de siège“ (1871), on arrose le pain de liquide. Dans cette somme de la cuisine système D, version XIXe siècle, on trouve d’ailleurs aussi une "soupe à l’oignon sans oignon". Avec juste de l’eau et des tranches de pain roussi!
Et que dit Auguste Escoffier, dans son fameux “Guide culinaire“, dont la première édition date du tout début du XXe siècle? Il décrit notamment un "potage Garbure-Cooper", fait d’oignons blondis dans le beurre et de consommé blanc (à base de bœuf, carottes, navets, poireaux, panais, oignons, clous de girofle, ail, céleri). On garnit "la surface de rondelles de flûtes" avant de "saupoudrer abondamment de fromage râpé" et de faire gratiner vivement.
C’est à la fin du XIXe siècle, au tournant du XXe, que la soupe à l’oignon semble devenir un plat connu, bien gratiné et souvent typiquement nocturne.
Dans son “Dictionnaire Gourmand“, Marie Hélène Baylac explique que "les Lyonnais affirment que la soupe à l’oignon est une spécialité de leur ville. En revanche, la gratinée serait parisienne; à la fin du XIXe siècle, elle était à l’honneur dans les restaurants situés autour du carreau des Halles de Baltard […]". L’auteur souligne que la différence entre la soupe lyonnaise et la soupe parisienne n’est pas flagrante: dans les deux cas, les oignons émincés sont cuits dans du beurre "jusqu’à ce qu’ils prennent une belle couleur dorée", on ajoute du bouillon, on pose du pain grillé et du fromage, et on fait griller le tout au four.
Les travailleurs mais aussi les noctambules autour des Halles de Paris, s’y retrouvaient afin de s'attabler autour d’un fumet brûlant peu onéreux, les premiers pour se donner de la force (Les "forts" des Halles, ces costaux manutentionnaires, avalaient en effet une soupe à l’oignon gratinée de fromage pour se motiver); les seconds pour “se laver l’estomac”, comme on disait, et recommencer de nouvelles agapes".
Michel Oliver, autre chef, précise dans son livre que "dans de nombreuses régions européennes, on célébrait l’union des jeunes mariés avec une soupe à l’oignon servie au petit matin, histoire sans doute de (re)donner de la vigueur aux époux".
Traditionnellement, ça requinque, ça réchauffe avant de se coucher… Ou d’aller travailler. C’est un plat qui tient au corps!
Alors, comment préparer cette soupe à l’oignon bien gratinée, à déguster au bout de la nuit (ou n'importe quand)? D’abord, il vous faut bien sûr des oignons. Lesquels? De bons oignons jaunes, c'est mieux, mais d'autres utilisent des tas d'oignons différents: blancs, rouges…. Bref: on a le choix.
Il s’agit donc de les éplucher et de les émincer finement, de préférence sans trop pleurer.
Puis, les faire dorer tranquillement, dans une généreuse quantité de beurre. Cela, c'est pour les genss du Nord, enfin, de la langue d'oil. En fonction du nombre de personnes, la quantité peut aller de 100g à près de 250g de beurre par kilo d’oignons! C'est un peu trop beaucoup, si je puis m'exprimier ainsi.
Nous, à Toulouse, quand j'étais jeune, je la faisais à l'huile d'arachide ou, devinez quoi? à la graisse de canard, bien sûr!
Laissez les oignons confire tranquillement, jusqu’à ce qu’ils aient une belle couleur brun foncé. Les autres, du nord, ils font juste colorer leurs oignons! ça donne une soupe clairasse. Non, non, l'oignon, cela doit se cuire à très brun…. Cela donne une couleur sombre, appétissante au bouillon.
Les oignons deviennent bruns et vous les remuez constamment pour ne pas qu'ils brûlent, sur feu moyen. Si les oignons attachent au fond de la casserole, ajouter une ou deux cuillérées à soupe d’eau froide.
Si on a besoin de remplir le “coffre“, on peut saupoudrer d'une cuillère de farine, cela épaissira la soupe et donnera l'illusion du bien manger. Vous rajoutez de l'eau en bouteille (pour ne pas avoir du chlore et des molécules médicamenteuses) ou du bouillon de gélatine faite avec des os et que vous avez mis de côté ou congelé. C'est pas mal non plus avec un fond de veau ou bien si ayant fait un pot-au-feu deux jours plus tôt, vous avez gardé du bon bouillon.
Vous pouvez ajouter selon votre goût, 40 cl de porto, 3 gousses d’ail écrasées, un bouquet garni (un poireau, du thym, du laurier, des queues de persil), et bien sûr du sel et du poivre. Après ébullition, le tout cuit 1h à feu doux.
Pour 4 personnes, 600 g d’oignons 1,2 litre d’eau, avec 60 ml de porto (très facultatif, ajoutez du bon vin de chez vous, c'est du pareil au même! -et n'oubliez pas de faire chabrot!), peut-être une pointe de vinaigre balsamique pourquoi pas, mais, ce n'est pas dans la recette traditionnelle. Faites en fonction de vos préférences.
Pour l’étape du gratinage, il faut que le pain ait une certaine densité, pour ne pas tomber au fond du bol. D’où l’importance de ne surtout pas utiliser une baguette fraîche, mais plutôt du pain rassi ou grillé.
Perso, je la met dans mon toupin à cassoulet mais, vous pouvez la mettre à gratiner dans des bols individuels, remplis environ aux ¾.. On coupe de gros cubes de vieux pains ou de baguette grillée (un centimètre d’épaisseur ce qui permet une séparation entre le bouillon et le gruyère, pour ne pas qu’il tombe au fond et pour faire une bonne couche de gratin. On saupoudre de fromage et on fait gratiner à la salamandre ou dans le four bien chaud quelques minutes. Le temps de voir le dessus bien croûté.
Certains mettent une tranche entière de pain de campagne. Dans tous les cas, on saupoudre très généreusement de fromage râpé, gruyère ou emmental, puis on fait griller avec la fonction grill du four. Info importante: le gruyère ne doit pas être mélangé à la soupe: sinon, comment va-t-il faire la bonne croûte?
Veillez surtout au dosage du sel... Vérifiez bien l'assaisonnement…. Le bouillon et le fromage peuvent être déjà très salés. Attention à ne pas brûler les oignons, sinon la soupe sera amère, et n’oubliez pas le bouquet garni! La qualité des produits, et notamment de l’emmental va jouer: s’il est pauvre en matière grasse, la soupe ne gratine pas.
Une soupe ratée sera acide, trop liquide, fade, sans couleurs; (il faut une couleur ambrée assez foncée). Une bonne soupe à l’oignon a une texture liée. Il n’y a pas trop d’eau. Elle est un peu sucrée mais pas trop, avec un côté gourmand, généreux. Bien sûr, soupe réconfortante été comme hiver. Il parait que les touristes disent que c’est un plat français emblématique, tout comme les escargots ou les cuisses de grenouilles.
Se conserve 3 jours au réfrigérateur (sans le pain ni le fromage). Sinon, consommez-la le lendemain au plus tard.