Penicillium camemberti: et l’homme créa le camembert
Le camembert et le brie n’ont pas toujours eu cette belle surface blanche immaculée et cotonneuse qu’on leur connaît aujourd’hui, comme l’atteste une peinture du XIXe siècle de Marie-Jules Justin où l’on peut voir un brie avec une surface orangée et de larges zones d’une moisissure grise-bleue. Des photos d’archives montrent des bries de couleur gris-bleu encore en 1953.
Le brie est un vieux fromage datant d’avant l’invasion romaine de la Gaule (Ier siècle), alors que les premiers écrits faisant mention de camembert en Normandie datent seulement de 1703. Une légende raconte même que c’est Marie Harel, originaire de Crouttes dans l’Orne, qui aurait inventé le camembert en 1791. La moisissure blanche, nommée Penicillium camemberti, qu’on inocule aujourd’hui dans le lait en début de processus de fabrication du brie et du camembert, est donc récente.
C’est cette moisissure qui donne aux bries et camemberts leur croûte blanche à l’aspect cotonneux et leurs arômes si typiques.
Pour mieux comprendre l’évolution de ces moisissures, nous avons cherché à reconstruire leur histoire évolutive. En analysant une soixantaine de génomes, nous avons pu établir l’arbre généalogique de différents Penicillium venant du fromage ou d’autres substrats, et nous avons étudié leurs caractéristiques d’aspect et de croissance. Nous avons révélé que la moisissure blanche et cotonneuse utilisée pour affiner le brie et le camembert, Penicillium camemberti, et la moisissure grise utilisée pour les fromages de chèvre, Penicillium biforme, sont issues d’un réel processus de domestication.
De la même façon que l’être humain a domestiqué le chien à partir du loup en sélectionnant des comportements et des apparences spécifiques, il a domestiqué les moisissures en choisissant d’utiliser celles qui donnait le meilleur fromage, poussant plus ou moins vite, dégradant plus ou moins vide les gras et protéines du lait, et donnant les aspects les plus appétissants.
Les deux espèces domestiquées Penicillium camemberti et Penicillium biforme montrent en effet des caractères avantageux pour l’affinage des fromages par rapport à leurs cousins qui se trouvent sur d’autres substrats. (…)
Ainsi, de la même façon que l’être humain a sélectionné des comportements et des apparences spécifiques chez les chiens pour en faire différentes races, il a sélectionné différentes moisissures pour différents types de fromages, menant à une diversification en plusieurs variétés.
Cette histoire évolutive est en accord avec des traces écrites rapportant que le biochimiste Georges Roger, en 1897, a isolé le Penicillium blanc d’un brie et a réussi à le cultiver en laboratoire, permettant d’inoculer le lait avec la "bonne" moisissure. La notoriété du Penicillium blanc isolé par Roger arrive en Normandie par l’ancien collaborateur de Georges Roger, Émile Louise, alors directeur de la station agronomique de Caen, qui conseille en 1901 aux fromagers d’ensemencer les camemberts avec les spores du Penicillium blanc.(…)
L’incorporation de ces nouveaux gènes a donc probablement été sélectionnée car ils permettaient d’améliorer l’affinage des fromages. (…)
Au-delà de ces intérêts pour les fromagers, l’étude de la domestication des moisissures du fromage permet de mieux comprendre comment les êtres vivants s’adaptent à de nouveaux environnements et se diversifient en de nombreuses espèces différentes.
Les camemberts et les bries d’aujourd’hui sont tous affinés avec la même lignée clonale de Penicillium camemberti, qui recouvre ces fromages d’un duvet blanc.
Auteurs Jeanne Ropars; Chargée de recherche CNRS en biologie évolutive, Université Paris-Saclay
Tatiana Giraud; Directrice de recherches en biologie évolutive, Université Paris-Saclay
The Conversation. CC BY ND