Des chercheurs ont identifié deux régions cérébrales qui prédisent notre capacité à manger sain plutôt que de céder à la moindre envie de gras et de sucré. Et nous ne sommes pas tous égaux.
Êtes-vous plutôt frites ou légumes? Saucisson ou smoothie? Fraises Tagada ou germes de soja? Difficile de résister à la tentation, même si l’on sait pertinemment qu’il serait préférable de manger sainement. Face à ce choix, nous ne sommes pas tous égaux. Si certaines personnes arrivent à s’imposer une ascèse alimentaire, d’autres ont plus de mal à se contrôler. D’où vient cette différence? Liane Schmidt et ses collègues, de l’Inserm à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris, ont peut-être trouvé un élément de réponse… dans notre cerveau: deux régions seraient plus riches en neurones (en substance grise) chez les personnes qui mangent plus sainement.
Toute la difficulté de nos prises de décision alimentaires est d’arriver à résister au plaisir d’aliments que nous considérons savoureux, mais qui sont souvent riches en gras ou en sucres, pour choisir des produits considérés comme plus sains. Ce qui suppose de refuser une récompense immédiate, par exemple un morceau de chocolat, pour obtenir une gratification plus importante, mais plus tard, à savoir être en bonne santé et vivre plus longtemps.
Plusieurs études ont déjà montré que notre capacité à résister dépend notamment de notre aptitude à réguler nos envies, ainsi que de l’activité cérébrale de différents réseaux cérébraux, notamment ceux connectant des régions du circuit de la récompense, impliqué dans les sensations de plaisir, au cortex préfrontal, responsable justement de nos facultés de contrôle, d’anticipation et de planification. Mais les différences de comportement alimentaire dépendent-elles de variations ponctuelles de notre motivation, ou sont-elles davantage ancrées dans notre cerveau? Et peut-on alors s’entraîner à manger plus sainement?
Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont réalisé plusieurs expériences dans lesquelles ils ont proposé à 91 volontaires en bonne santé, âgés en moyenne de 30 ans, d’évaluer leurs envies alimentaires, puis de choisir un aliment, soit selon leur préférence spontanée, soit en fonction du goût des produits, soit encore en prenant en compte leurs bénéfices supposés pour la santé.
Cette dernière consigne, qui requiert de faire un choix en se concentrant sur un bénéfice à long terme, pour choisir par exemple des légumes plutôt que des frites alors que l’on a une faim dévorante, nécessite davantage de maîtrise de soi. Pour compléter ces observations, les scientifiques ont mesuré par imagerie cérébrale la quantité de substance grise, correspondant à la quantité de neurones, dans le cerveau de chaque participant.
Ils ont ainsi découvert que les personnes qui préféraient les aliments sains possédaient deux régions cérébrales plus épaisses: le cortex préfrontal ventromédian, connu pour représenter la valeur des options parmi lesquelles nous sommes amenés à choisir, et le cortex préfrontal dorsolatéral, qui régule la prise de décision. Ensuite, les neuroscientifiques ont testé leur résultat dans une quatrième expérience en tentant de prédire les préférences alimentaires de 32 autres participants laissés libres d’utiliser la stratégie de leur choix (faire des économies, manger bio, etc.) pour diminuer leur envie de produits " malsains ". Et à nouveau, ceux qui avaient plus de substance grise dans les mêmes régions du cortex préfrontal y arrivaient mieux, bien que cette fois, pour se décider, ils aient utilisé une stratégie de contrôle qui ne reposait pas sur la valeur des options.
Notre capacité à choisir une nourriture saine plutôt que des aliments à forte valeur "plaisir" se lirait donc dans l’épaisseur de deux régions cérébrales impliquées dans la prise de décision. Pouvons-nous les muscler par un entraînement au contrôle de soi? Ou sont-elles figées dès la petite enfance, via l’éducation? Le cerveau étant plastique, capable de se réorganiser, et des nouveaux neurones apparaissant même à l’âge adulte (la substance grise évoluant donc au fil du temps), il est probable que nous puissions nous entraîner à manger sain.
Ce modelage est particulièrement efficace pendant l’enfance, de sorte que la capacité à manger de façon saine et raisonnée dépend en grande partie de l’éducation alimentaire que nous donnons aux plus jeunes. Plus tard, il est toujours possible de s’éduquer pour prendre soin de ce que l’on mange, mais cela demande davantage de persévérance et notamment une gestion intelligente de certains facteurs qui poussent à l’alimentation compulsive, comme le stress. Autant de pistes à confirmer scientifiquement!